Avec plus de 15 ans d’expérience en onco-hématologie, Pr Fatou Samba Ndiaye est une figure majeure de la médecine au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. Première femme spécialiste en hématologie clinique au Sénégal, elle a surmonté de nombreux obstacles pour ensuite créer un diplôme national dans cette spécialité. Sa détermination et sa pugnacité ont permis d’implanter au Sénégal une technologie lourde et innovante : la greffe de moelle osseuse, une avancée majeure dans la prise en charge des cancers du sang sur le continent africain.
Engagée dans le programme OWLA en tant que mentor, Pr Ndiaye porte avec force la cause du leadership féminin dans la médecine. Présidente de l’Association des Femmes Médecins du Sénégal, elle soutient les jeunes femmes par le mentoring et la formation, tout en participant activement à la politique sanitaire nationale. Elle milite pour renforcer la recherche médicale féminine en Afrique de l’Ouest, avec plus de moyens et de collaboration. Son message aux jeunes femmes africaines est clair : croire en soi, rêver grand, persévérer pour construire un avenir scientifique et médical brillant.
Votre parcours est jalonné de nombreuses premières, notamment en tant que première femme spécialiste en hématologie au Sénégal. Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés dans ce parcours pionnier, et quelles leçons en avez-vous tirées, tant sur le plan personnel que professionnel ?
Au Sénégal, il n’y avait initialement que des hématologues biologistes, sans spécialistes cliniques. Quand j’ai voulu me spécialiser, le ministère de la Santé ne voyait pas cela comme une priorité. J’ai donc financé moi-même ma formation à Abidjan pendant deux ans. À mon retour, malgré un besoin évident, l’hématologie clinique restait peu valorisée. Avec le temps, j’ai compris que cette décision était la bonne, car elle a ouvert la voie aux jeunes médecins. Grâce à ce parcours, je suis devenue hématologue clinicienne, professeure titulaire, et j’ai contribué à créer, avec le Pr Saludio, le diplôme de spécialisation en hématologie clinique au Sénégal.
En tant que pionnière féminine dans ce domaine, je ressens une grande fierté. Malgré la complexité de cette spécialité, nous continuons à former la relève et à sensibiliser. Ce parcours m’a appris la persévérance, la vision claire et la détermination. Il faut rêver grand : aujourd’hui, des greffes de moelle osseuse sont réalisées ici, en Afrique de l’Ouest francophone, ce qui était autrefois impensable. La clé, c’est de croire en la possibilité, de faire preuve de leadership et d’un “entêtement positif”. Je poursuis cet engagement en regardant toujours vers l’avenir.
L’hématologie clinique et la greffe de moelle osseuse sont des domaines en constante évolution. Quelles avancées récentes vous semblent les plus prometteuses pour améliorer la prise en charge des patients en Afrique ?
La greffe de moelle osseuse constitue, selon moi, l’une des avancées les plus prometteuses et les plus marquantes pour le continent. Il s’agit d’une technologie particulièrement complexe et lourde, que peu de pays africains maîtrisent à ce jour. Au Sénégal, nous sommes probablement le premier pays d’Afrique de l’Ouest francophone à avoir implanté cette technologie. C’est une étape cruciale, car la greffe de moelle osseuse permet de traiter, et dans certains cas de guérir, des formes graves de cancers du sang. Jusqu’à récemment, de nombreux patients étaient contraints de se faire évacuer vers la France, le Maghreb ou encore l’Asie pour accéder à ce traitement. Ces évacuations médicales représentaient un coût colossal et totalement inaccessibles pour la majorité des patients africains. Ce manque de moyens empêchait souvent de compléter les traitements initiés localement.
Aujourd’hui, depuis environ trois mois, nous avons commencé à réaliser des greffes de moelle osseuse ici, au Sénégal. Cette capacité attire déjà des patients venus de plusieurs pays de la sous-région, qui nous envoient leurs malades pour évaluation et prise en charge. C’est une avancée immense, une source de fierté et de satisfaction. Ce que l’on croyait impensable il y a encore un an ou deux est désormais une réalité. C’est une véritable prouesse, non pas pour s’en glorifier, mais pour marquer une étape essentielle vers cette souveraineté sanitaire à laquelle nous aspirons tant. Nous sommes en chemin.
En tant que présidente de l’Association des Femmes Médecins du Sénégal, vous êtes en première ligne des enjeux liés au genre dans la médecine. Quels sont aujourd’hui les principaux défis auxquels les femmes médecins sont confrontées, et quelles initiatives portez-vous pour encourager leur leadership et leur épanouissement professionnel ?
Un de nos défis majeurs est de maintenir un rôle actif dans la politique nationale de santé. Pendant la pandémie de Covid-19, j’ai coordonné le centre de Dallal Jamm, qui a accueilli plus de 3 000 patients avec ses 211 lits, un record national. Nous sommes aussi engagées dans la lutte contre les violences basées sur le genre. En partenariat avec l’Association des Juristes Sénégalaises (AJS), nous militons pour criminaliser l’inceste et mieux protéger les jeunes filles victimes de grossesses non désirées, souvent contraintes au silence faute de recours adaptés. Parmi nos actions, le programme Pré-FEMS est une grande fierté. Il encadre plus de 400 jeunes étudiantes en médecine, issues des cinq universités du pays. Bien qu’elles n’aient pas encore soutenu leur thèse, nous les formons en leadership, mentorat et coaching pour assurer la relève et construire un leadership féminin solide dans le secteur médical.
Forte de plus de 15 ans d’expertise en onco-hématologie et immuno-hématologie, quel regard portez-vous sur l’évolution de la recherche médicale au Sénégal et en Afrique de l’Ouest ? Quels leviers faudrait-il actionner pour renforcer cette dynamique ?
Le Sénégal et la sous-région ont connu des avancées en recherche, mais de nombreux défis subsistent. En tant qu’enseignantes-chercheures — médecins, pharmaciennes, dentistes — nous intervenons dans les soins, l’enseignement et surtout la recherche, domaine où les difficultés sont les plus marquées. Pour mieux nous soutenir, nous avons créé le collectif des femmes-PER (Personnel Enseignant et de Recherche) afin d’accroître notre visibilité scientifique et renforcer nos capacités à publier au niveau national et international.
Malgré notre engagement, le manque de moyens financiers et logistiques freine la production scientifique. Nous misons donc sur la mutualisation, la formation continue en rédaction scientifique et leadership académique pour progresser. Je publie à l’échelle locale et internationale, mais un meilleur accompagnement technique et financier pour les chercheures pourrait multiplier ces résultats. La recherche doit être un pilier stratégique du développement sanitaire, et la publication scientifique un levier essentiel pour positionner des institutions comme l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar parmi les meilleures du continent. C’est un objectif collectif à atteindre.
Vous avez à votre actif plus de 60 publications scientifiques et de nombreuses communications internationales. Quelle importance accordez-vous à la transmission du savoir et à la formation des générations futures de professionnels de santé ?
La transmission du savoir est au cœur de mon engagement. J’ai bénéficié d’une formation exigeante en tant qu’interne des hôpitaux du Sénégal, ce qui m’a permis de commencer ma spécialisation tôt et d’accéder à l’enseignement supérieur. Recrutée comme assistante à la Faculté de médecine, je me consacre aux trois missions clés : enseigner, soigner et faire de la recherche. À l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, grâce à une convention avec les hôpitaux, les enseignants-chercheurs sont présents quotidiennement sur le terrain, assurant une formation clinique de qualité aux étudiants.
Cet encadrement direct lors des stages et consultations est essentiel pour former des médecins compétents. Le lien entre soins et recherche permet d’étudier les pathologies complexes rencontrées en clinique, aboutissant à des publications et à des avancées en santé publique. Je souhaite que mon parcours inspire la relève, notamment les jeunes femmes talentueuses qui continueront à faire progresser la médecine africaine avec rigueur, ambition et humanité.
En tant que mentor OWLA, vous accompagnez de jeunes femmes leaders dans leur parcours.Quel rôle souhaitez-vous jouer auprès d’elles, et quel impact espérez-vous laisser dans leur trajectoire personnelle et professionnelle ?

Être mentor OWLA est pour moi un privilège. A chaque cohorte, je suis impressionnée par la richesse des profils, la diversité des parcours et surtout la solidité des ambitions de ces jeunes femmes. Elles ont déjà énormément de bagages, ce sont des femmes brillantes, engagées, qui ne demandent qu’à être accompagnées dans leur ascension. Mon rôle, je le conçois dans la simplicité et dans la proximité. J’adopte une philosophie de l’accompagnement par l’exemple. Je suis là pour les écouter, les soutenir, leur transmettre des clés de leadership, mais surtout pour partager mon expérience de façon authentique, en espérant qu’elles puissent y puiser des repères utiles pour tracer leur propre chemin.
Chaque mentee arrive avec un projet, une vision. Mon rôle est de l’aider à clarifier ses objectifs, à renforcer sa confiance, à lever certains blocages si nécessaire. Et quand elles sont dans le doute ou dans l’hésitation, on discute, on explore les possibilités ensemble, toujours en gardant leur ambition et leur autonomie comme boussole. Je crois fermement que les femmes ont un potentiel extraordinaire. Nous avons cette capacité unique à faire face à une multitude de responsabilités, souvent en parallèle, avec une force et une résilience incroyables. Nous gérons nos familles, nos carrières, nos patients, nos étudiants, nos projets… Et souvent, sans même nous rendre compte de l’ampleur de ce que nous accomplissons. Ce que je souhaite transmettre aux jeunes femmes que je mentor, c’est cette conviction profonde qu’elles peuvent réaliser des choses extraordinaires. Il faut juste croire en soi, accepter de grandir, et ne jamais douter de sa valeur. Je suis convaincue que nous, les femmes, avons tout ce qu’il faut pour occuper pleinement notre place, avec compétence, confiance et leadership.
Pour conclure, quel message aimeriez-vous adresser aux jeunes femmes africaines qui rêvent de carrières scientifiques ou médicales mais qui doutent encore de leur légitimité ou de leurs capacités ?
Le message que je voudrais adresser à toutes ces jeunes filles, c’est avant tout de faire confiance en elles-mêmes. Nous sommes toutes, à notre manière, des leaders en devenir. Il est essentiel de croire en ses capacités, de se fixer des objectifs ambitieux, de rêver grand. Le monde ne pourra avancer sans la contribution active et engagée des femmes. Vous avez en vous la force et le potentiel pour accomplir des choses extraordinaires. Alors, osez, persévérez, ne laissez jamais les doutes freiner votre élan. Croyez en vous, car votre confiance est la clé qui ouvrira toutes les portes. Ce sont vos rêves, votre engagement et votre détermination qui façonneront un avenir meilleur pour vous, pour vos communautés et pour l’Afrique toute entière. Merci à toutes celles qui se battent chaque jour pour construire ce futur. Votre place est là, dans la science, dans la médecine, dans le leadership.